Déclaration

Burundi : Le Président Nkurunziza marque son territoire et renforce son isolement, pour combien de temps?

Face à la situation qui prévaut au Burundi et compte tenu des derniers développements sur le plan politique, il n’y a nul doute que le Président Nkurunziza veut brouiller les cartes et surtout, marquer son territoire : son armée parallèle, les Imbonerakure, quadrille le territoire d’Est en Ouest et du Nord au sud dans une logique de démonstration de force et d’installation d’un terrorisme d’État.

D’après leurs cris de guerre et de ralliement, ils seraient à la recherche d’irréductibles (Intumva) et d’hypothétiques trouble-fêtes (Injavyi) afin de leur «faire entendre raison». Ils arrosent le pays de chansons guerrières et «va-t’en guerre» à l’instar des milices rwandaises de triste mémoire, les Interahamwe, qui ont commis l’irréparable (génocide) en 1994 au Rwanda.

Tout semble coordonné et savamment orchestré pour semer la panique et créer une psychose qui dissuaderait une éventuelle protestation, le jour où le Président Nkurunziza viendrait à annoncer qu’il revient sur sa décision de ne pas se représenter aux élections de 2020. Il lui suffirait d’indiquer, et cela se prépare déjà, qu’il a été supplié par le peuple, l’unique détenteur de la souveraineté nationale, le stratagème est connu, pour régner ad vitam aeternam sur le Burundi. Les chansons des militants de son parti l’annoncent déjà, le lavage de cerveaux à ce sujet fait son œuvre et tout deviendra naturel et normal sous peu.

Nul ne devrait s’en étonner car, tout est coup de théâtre chez le Maître en chef de Bujumbura: la lettre écrite au Président Museveni en date du 4 décembre 2018 et à travers laquelle il troque le sommet de l’EAC sur le Burundi, boycotté par lui-même le 30 novembre dernier, contre celui qu’il invente de toute pièce et dont il fixe lui-même l’ordre du jour et devant se tenir le 27 décembre prochain, est on ne peut plus surprenant.

La diversion est d’autant plus troublante qu’elle intervient au moment où on espérait enfin que le sommet du 27 décembre prochain, programmé en désespoir de cause, lui tenait quand même à cœur. Mais c’était sans compter avec la tactique Nkurunzizienne d’équilibriste zélé et aguerri, qui ne cesse de dribler les acteurs internationaux qui s’intéressent à la question burundaise. Il s’emploie, en revanche, à entasser des obstacles, depuis un peu plus de trois ans, sur le chemin de la réconciliation entre Burundais, via dialogue de paix, après la crise de 2015 qu’il a lui-même provoquée et entretenue.

L’interpellation puis l’emprisonnement de quatre officiers supérieurs à la retraite et le lancement de mandats d’arrêts internationaux par le biais d’une liste à la tête de laquelle se trouve l’ancien Président Pierre Buyoya est une autre tactique pour montrer à qui veut l’entendre qu’il est la seule et unique personne capable d’en découdre avec les présumés assassins du président Ndadaye. Il oublie, cependant, qu’en temps normal, ce n’est pas lui la justice. Il oublie aussi que quand on a accepté de négocier avec lui alors qu’il était condamné à mort par les tribunaux burundais, ce n’est pas parce que la justice de son pays était moins efficace qu’aujourd’hui. Ce fut un compromis difficile mais compréhensible pour des besoins de retour à la paix. On se demande, par ailleurs, pourquoi a-t’il attendu treize ans pour s’occuper du dossier de l’assassinat du Président Ndadaye? Et même si on le lui accordait, comme le dit le proverbe «Mieux vaut tard que jamais», pourquoi, s’il se veut être le président rassembleur qu’il dit souvent être, Nkurunziza n’aurait-il pas enjoint la justice (elle est souvent instrumentalisée dans ce pays) de rechercher et d’arrêter les auteurs de nombreux et ignobles massacres qui ont suivi l’assassinat de cette illustre personnalité?

L’accord d’Arusha avait pourtant prévu des mécanismes consensuels, l’un judiciaire et l’autre non judiciaire, pour traiter ces deux dossiers, mais ce même pouvoir tout comme celui qui l’avait d’ailleurs précédé n’ont pu les mettre en œuvre, pour des raisons qu’on ignore. Or si ces mécanismes avaient été mis en place, on aurait eu droit à une justice digne de ce nom. Mais un fait mérite d’être précisé: puisque Nkurunziza venait d’être inspiré par Thémis, la muse de la justice, n’aurait-il pas dû éviter de créer une justice à double vitesse en allant jusqu’à faire questionner publiquement son propre dossier dans lequel il était candidat à la peine capitale pour avoir détruit biens et vies humaines à Bujumbura en 1996 au moyen de mines anti-char, lorsqu’il combattait le pouvoir d’alors en qualité de rebelle?

Et comme si le pli avait été pris, des manifestations du parti au pouvoir (les seuls qui ont le droit de manifester) salueront l’exploit, les slogans en disant long sur les prétendues cibles à abattre à savoir le tandem Buyoya-Kagame sensé préparer le chaos devant s’abattre sur le Burundi. Impossible encore une fois de connaître avec exactitude ce qui est à la base de cette agitation. Ce qui est sûr, c’est la volonté manifeste du pouvoir de marquer son territoire et d’ethniser un conflit qui le dépasse désormais, avec un message clair en direction de ses thuriféraires et qui pourrait s’énoncer en ces termes : «Nous sommes les maîtres de la sous-région des Grands lacs, vos pires ennemis sont dans notre collimateur, appuyez sans réserve notre initiative de libération». Le seul problème pour lui est qu’actuellement les trois composantes ethniques sont unies et veulent apparemment en découdre, pour de bon, avec le virus de l’ethnisme et son instrumentalisation à outrance à des fins politiques. Les Hutus, Tutsis et Twas ont suffisamment goûté à la sauce de la division servie par Nkurunziza, pour comprendre que non seulement elle est amère, mais qu’elle détruit, en outre, notre cher et beau pays.

Pendant ce temps, le silence de Kigali donne à réfléchir. Le Rwanda semble observer le jeu, probablement en attendant la réaction de l’EAC qui doit certainement se trouver dans l’embarras le plus total. La vraie problématique n’est pas résolue et Nkurunziza semble balayer la question burundaise du revers de la main pour vouloir l’esquiver à qui mieux mieux, en essayant de subordonner sa participation au sommet du 27 décembre à la mise à l’ordre du jour du soi-disant conflit entre le Rwanda et le Burundi. Mais à trop jouer les durs, on se surprend, sans doute, aux prises avec son propre jeu. Reste à savoir si la lettre du médiateur constitue un tournant décisif…

Fait à Ottawa le 12 décembre 2018

© L’Alliance des Burundais du Canada, l’ABC